lundi 9 janvier 2012

Il faut sauver le collège unique

Après guerre, l’Europe a connu une vague de démocratisation de l’éducation conduisant à allonger la durée de la scolarité obligatoire en supprimant la sélection à l’entrée au collège. L’examen d’entrée en 6eme qui servait à trier les élèves français pour les orienter en majorité vers des études courtes.  Il s’agissait des centres d’apprentissage avec un objectif d’insertion professionnelle trois ans après l’école élémentaire et des cours complémentaires visant l’obtention du certificat d‘étude. La voie royale du lycée, menant au baccalauréat, était réservée à l’élite. En 1975, le France a décidé d'accueillir dans un « collège unique » tous les élèves de la 6e à la 3e et de leur offrir un enseignement identique
Depuis une dizaine d’année, l’efficacité du collège unique est remise en cause par les partis ou mouvements libéraux. Des voix dénoncent l’inadaptation de son enseignement pour les élèves des quartiers populaires  [1] et demandent directement sa suppression : Il faut aujourd'hui mettre fin au" Collège unique " [2]. Comme le dit le ministre de l’Education, il faudrait personnaliser les parcours [3], c’est donc la fin de l’enseignement identique au collège unique. De nouveaux modes de sélections sont proposés pour séparer le bon grain de l’ivraie dans les deux sens. Déjà, dans quelques quartiers populaires, l’Education Nationale tente d’extraire les meilleurs élèves pour les placer en internats d’excellence, mais ce n’est qu’un début. Les propositions suivantes arrivent : on écartera du collège les moins performants pour les placer dans une école fondamentale [4] et on favorisera l’apprentissage à 14 ans. L’exacte correspondance avec les vieux cours complémentaires et les centres d’apprentissage est assez frappante. 

La question est donc posée : le collège unique était-il une si bonne idée ?

Par chance, au delà des impressions personnelles et des discours de comptoir, cette question a fait l’objet de nombreuses enquêtes scientifiques. On en trouve une synthèse rigoureuse dans « La nouvelle question scolaire » [Eric Maurin].  
Le sous-titre « Les bénéfices de la démocratisation » nous donne déjà une idée de la réponse. 
Dans  les pays qui on mis en place le collège unique à des instants différents suivant les régions (Suède, Norvège, Finlande) les comparaisons entre les régions qui l’ont adopté  précocement et les autres font apparaître un accroissement très sensible du revenu moyen (environ 10% par année d’étude supplémentaire) et une baisse des inégalités sociales, notamment de leur persistance entre les générations (-25% en Finlande). Cerise sur le gâteau, par son étude, Eric Maurin révèle que contrairement à une idée reçue, les principaux bénéficiaires de la réforme sont les enfants scolairement les plus doués des classes populaires. (p. 37). 
En France où la réforme a été appliquée à l’ensemble du territoire, de telles comparaisons géographiques ne sont pas possibles. Cependant, la mise en place du collège unique coïncide, pour les générations qui en ont profité, avec une accélération très sensible de la proportion de diplômés du supérieur, qui a eu un impact mesurable et durable sur le taux de chômage de cette génération que l’on ne peut pas expliquer par l’évolution du contexte économique :  Le surcroit de formation initiale reçue par les générations du début des années 1970 par rapport à celles du milieu des années 1960 se traduit au total par une diminution du taux de chômage d’environ 5 points (de 19,2% à 14,2%) après quatre à six ans sur le marché du travail.  
La conclusion est sans appel : le collège unique a démontré son efficacité à améliorer globalement le sort de citoyens comme à faire reculer les inégalités. A l’inverse, dans les pays où la sélection est la plus importante au cycle secondaire (Allemagne, Grèce, Italie) sont aussi ceux où les inégalités s’accroissent le plus à l’adolescence. 
Qu’il faille penser à continuellement faire évoluer le collège pour prendre en compte l’évolution de la société est une certitude, mais le retour à la sélection serait néfaste et injuste. C’est pourquoi nous appelons à lutter pour sauver le collège unique. 

Jacques-Olivier Klein,
Elu FCPE.
 
 [1] Une partie des collèges français est implantée dans des quartiers dits « difficiles ». Dans ces établissements, les collégiens sont censés recevoir le même programme national. C’est un leurre bien connu de tous. 12 idée pour 2012, fondapol
 [2] Il faut aujourd'hui mettre fin au" Collège unique " qui conduit à l'échec un trop grand nombre d'élèves alors que, selon d'autres modalités, ils pourraient réussir. Tiré de Programme RPR en 2001. 
[3] PROPOSITION 11 : Passer du collège unique au collège pour tous, avec une plus grande personnalisation des parcours. Proposition UMP pour 2012.
 [4] Les écoles fondamentales accueilleront, de la sixième à la troisième, les enfants dont les performances mesurées à l’école élémentaire ou au collège, en français, en mathématiques et en matière de « savoir-être », seront jugées insuffisantes pour intégrer un collège général ou y poursuivre une scolarité.  
12 idée pour 2012, fondapol
Référence : 
La nouvelle question scolaire – Les bénéfices de la démocratisation, Eric Maurin, Ed. Seuil, 2007. 


Changer l'Ecole ou changer d'école?

Trouvé sur le site Le Café Pédagogique, L’Expresso du 9 janvier 2012
Mis en ligne par F. Valenti

Changer l’Ecole ou changer d’école ?
C’est avec ces mots que la toujours très pertinente Agnès Van Zanten décrivait la situation dans un récent entretien diffusé récemment dans l’émission Rue des Ecoles
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Ecouter cette émission diffusée sur France Culture 
Thème: "La personnalisation de l'éducation est-elle en contradiction avec l'école de la République?"
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« Certains parents, souvent de classes moyennes et supérieures, considèrent désormais que la réponse adaptée aux cas personnels est une mission de l’école. Dit autrement, alors que les enseignants estiment que la Justice due par l’Ecole est de mettre tous les élèves à égalité « de chances », les familles attendent que l’établissement où ils scolarisent leur enfant s’occupe spécifiquement de celui-ci, avec ses « besoins particuliers » éventuels. Parfois jusqu’à l’excès consumériste, pas loin des pubs MMA qui vantent la pression du lobby consommateur pour tirer le meilleur du système.
L’articulation entre l’individuel et le collectif est évidemment le défi de l’Ecole de notre temps, y compris pour ceux qui en attendent des vertus démocratiques. Face à la difficulté scolaire, « l’école doit pouvoir répondre sur la question des connaissances et de la socialisation » explique A. Van Zanten, pour qui ’accompagnement personnalisé ne peut qu’être bénéfique si on maitrise les conditions dans lesquelles ça a lieu : non pas dans l’extériorité ou les dispositifs ségrégatifs, mais d’abord à l’interne de la classe et en coordonnant les interventions différentes.
Mais là où le bât blesse, c’est lorsque l’institution fait passer l’idée que seuls les « pauvres méritants » méritent d’être aidés lui semble discutable : ce sont des politiques très malthusiennes, consensuelles mais qui se font au détriment du traitement de la masse des élèves. Dans les zones d’éducation prioritaire, l’action des enseignants engagés est désormais « aspirée » vers ces politiques qui les valorise, et permet parfois des résultats réels pour quelques uns. Du coup, les politiques de lutte contre l’échec scolaire sont déshabillées, et le plus grand nombre des élèves en difficulté sociales abandonnés. Cela s’est nourri de la déception à l’égard des politiques publiques, et nourri l’impression que rien n’était possible dans ces zones difficiles. On peut alors comprendre que faute de confiance dans l’action publique ou le travail pédagogique, certains décident de chercher des solutions individuelles pour leurs enfants. Et renforcent ainsi la compétition, la « course à l’armement scolaire » que ne peuvent que perdre ceux qui ont le moins de moyens économiques et culturels.
 « Pourtant, il existe des espaces d’action » pondère A. Van Zanten, qui nécessitent des conditions, mais ont des effets sur les résultats des élèves et génèrent des cercles vertueux sur le terrain ». Au-delà des familles, c’est aussi les enseignants qu’il faut convaincre, las des effets d’annonces et des marchés de dupes. Qu’il me soit permis de souhaiter ici que 2012 contribue à recréer les conditions de ces défis collectifs. Au Chili, laboratoire libéral de cette école de la concurrence, profs et étudiants descendent dans la rue depuis cinq mois pour s’inventer un avenir commun. .
Marcel Brun